Biodiversité, l'état d'urgence
- laurencejob
- 7 mai
- 6 min de lecture

NATHALIE MOTSCH RENCONTRE GILLES BOEUF
Le dernier rapport du groupe international d'experts sur la biodiversité (IPBES) l'exprime sans détour : la biodiversité et les services écosystémiques se détériorent dans le monde entier à une vitesse fulgurante. L'activité humaine menace d'extinction globale un nombre d'espèces sans précédent dans l'histoire de l'humanité.
"La nature est essentielle à l'existence humaine et à une bonne qualité de vie. La plupart des contributions de la nature aux populations ne sont pas intégralement remplaçables, et certaines sont mêmes irremplaçables". (IPBES 2019)
Chiffres clés :
75 % de la surface terrestre est altérée de manière significative
Plus de 85% de la surface des zones humides ont disparu
32 millions d'hectares de forêt primaire ont été perdus entre 2010 et 2015
Environ la moitié de la surface de corail vivant des récifs coralliens a disparu depuis les années 1870
1 million d'espèces sont déjà menacées d'extinction.

L'interview de Gilles Boeuf, biologiste, ancien Président du Muséum d'histoire naturelle, spécialiste de la biodiversité
La Biodiversité, qu'est ce que c'est ?
C'est toute la partie vivante de la nature et le dialogue qu'elle entretient en permanence avec sa partie minérale.
Toutes les relations entre les espèces et avec leur environnement sont primordiales. Et non seulement entre espèces mais aussi entre populations et entre individus.
Des travaux récents ont montré qu'il existe un dialogue moléculaire constant et nécessaire entre un hôte et les micro organismes - bactéries, protistes - qu'il héberge.
L'être humain contient en lui, et sur lui, au moins autant de bactéries que de cellules qui lui sont nécessaires. On a découvert par exemple récemment que le microbiote intestinal joue un rôle fondamental et que son altération est associée à des pathologies comme l'autisme, l'obésité, le diabète de type 2, l'hypertension artérielle ...
Il faut comprendre qu'il y a une grande interdépendance entre les organismes, les bactéries, les protistes, jusqu'aux molécules. Tout le vivant est interdépendant, s'il manque un maillon, toute une chaîne du vivant peut s'effondrer.

Est ce que l'on connait toutes les espèces vivantes ?
A partir des travaux du Museum, nous estimons qu'il existe entre 10 et 20 millions d'espèces et que nous n'en connaissons que 2,2 millions. Nous découvrons 16 000 à 18 000 nouvelles espèces par an, il nous faudrait ainsi la bagatelle de 1 000 ans pour tout connaître !
Pourquoi cette biodiversité est essentielle ?
Tout d'abord, nous ne mangeons que de la biodiversité, pas encore des cristaux de quartz ! Notre corps coopère avec les micro organismes vivants, présents en lui et sur lui, et notre métabolisme dépend de toutes ces interactions.
Ensuite, il y a les services rendus par les écosystèmes comme la pollinisation. Sans pollinisation, ni fruits ni légumes. Plus de 75 % des cultures alimentaires mondiales dont les fruits et légumes mais aussi le caté, le cacao et les amandes reposent en effet sur la pollinisation animale.
En Chine, dans certaines provinces, où les abeilles ont disparu, les femmes les remplacent et pollinisent à la main les vergers à l'aide de pinceaux.
Ce service rendu par les abeilles à l'humanité a été estimé à environ 200 milliards d'euros par an. Il y a aussi des raisons éthiques, pourquoi a t-on tué la moitié des éléphants et des girafes en 40 ans?
Enfin, la biodiversité est aussi essentielle à toutes les autres espèces.
Parmi les espèces menacées, il y a les keystone species, les "espèces clés de voute", si elles disparaissent, tout l'écosystème se dégrade très vite. C'est le cas d'une étoile de mer spécifique de la côte est américaine ou du castor : chacun joue un rôle clé dans l'équilibre de son écosystème.

La biodiversité c'est des médicaments, de la nourriture, des vêtements, l'oxygène pour respirer, des matériaux pour s'abriter, des sources d'inspiration et d'émerveillement continues...
On assiste aujourd'hui à un effondrement alarmant des écosystèmes à une vitesse extrêmement rapide.
En 27 ans, plus de 75 % des insectes volants ont disparu en Allemagne. Dans les deux sèvres, 30 % des oiseaux sur certaines terres agricoles ont disparu en à peine 15 ans. 75 % de la surface terrestre est altérée de manière significative.
Plus de 85% de la surface des zones humides ont disparu.
32 millions d'hectares de forêt primaire ont été perdus entre 2010 et 2015. Environ la moitié de la surface de corail vivant des récifs coralliens a disparu depuis les années 1870. 1 million d'espèces sont déjà menacées d'extinction...
Quels sont les facteurs qui menacent la biodiversité ?
Ils sont multiples et tous rattachés à l'activité humaine.
La destruction massive des écosystèmes avec la déforestation, l'agriculture intensive, l'artificialisation des sols par une urbanisation excessive. La France perd ainsi l'équivalent de la surface d'un département tous les 7 ans.
La pollution avec des catastrophes comme Tchernobyl, la pollution aux métaux lourds, les matières plastiques dans les océans, les pesticides et les insecticides, les particules fines, les perturbateurs endocriniens. La pollution est partout même dans des endroits inhabités comme les zones polaires.
Il faut également citer la dissémination de tout partout dans nos déplacements, nous transportons des espèces d'un écosystème vers un autre avec des espèces parfois invasives et envahissantes. En mer des Caraibes, les sargasses, des algues brunes, s'accumulent en milliers de tonnes sur les plages et empoisonnent le littoral.
Et comment ne pas parler de la surexploitation des forêts, notamment la forêt tropicale dont l'équivalent de la superficie de la Grande Bretagne disparaît chaque année. Et celle de la mer... La surpêche fait des ravages, quand la quantité de poisson pêchée est supérieure à la reproduction naturelle, on comprend bien que l'écosystème s'effondre : 500 ans d'harmonie de la pêche à la morue à Terre neuve et les bateaux industriels sont arrivés, le stock a fondu.
L'humain est le seul qui peut encore sauver des espèces. Car, une fois qu'elle a disparu, une espèce ne peut pas revenir. Au-delà de la sauvegarde des espèces, nous devons limiter nos impacts sur la biodiversité.

Précisément, vous intervenez aujourd'hui dans un magazine de golf, vous avez participé au programme "Golf pour la biodiversité" lancé par la Fédération Française de Golf, en 2018, en partenariat avec le Muséum d'histoire naturelle, de quoi s'agit il ?
En 2007, la Fédération Française de Golf s'est rapprochée du Muséum d'histoire naturelle pour effectuer un inventaire de la faune et de la flore au Golf National en vue de l'organisation de la Ryder Cup.
Une biodiversité riche et rare a été découverte.
En 2016, la fédération a signé un 1er programme national d'études de la biodiversité des golfs français pour lancer en 2018 les labels bronze, argent et or récompensant les clubs les plus exemplaires en matière de connaissance, de préservation et de valorisation du patrimoine naturel.
Le Muséum d'histoire naturelle apporte sa caution scientifique à ce programme, il est donc particulièrement encadré.
Les golfs candidats signent une charte d'engagement avant de faire réaliser un inventaire écologique par une structure naturaliste locale comme l'Office national des forêts ou la Ligue pour la protection des oiseaux ou encore le conservatoire d'espaces naturels.
Ces structures préconisent des actions à mettre en oeuvre, en fonction des résultats obtenus, le golf est éligible ou non à un label.
Quelles séries d'actions peuvent être mises en oeuvre ?
Nous avons perdu près de 400 000 hectares de prairies en France, les golfs ont donc un rôle à jouer pour limiter leur impact écologique et contribuer à protéger la biodiversité.
De nombreuses actions permettent de réintroduire ou préserver la biodiversité :
laisser les roughs en hautes herbes pour favoriser la pollinisation et aider la faune et la flore à s'y reproduire;
végétaliser les berges des étangs pour offrir des habitats aux libellules et aux amphibiens ;
conserver des zones arborées;
laisser des tas de bois et des feuilles au sol pour créer des refuges pour les insectes et les oiseaux ;
installer des murets en pierre sèche pour contribuer au développement d'une certaine flore;
limiter la lumière artificielle lorsqu'il y a un hôtel pour protéger les chouettes et les chauves souris ;
créer des lacs, ravins ;
installer des ruches et des gites à chauve souris ;
améliorer la gestion de l'eau
Il est aussi indispensable de sensibiliser le grand public.
Les parcours de golf en zone urbaine ou périurbaine jouent ainsi un rôle de poumon vert en offrant des îlots de fraîcheur et en préservant des zones de biodiversité.
Vous l'aurez compris, si on ne fait rien, on court à la catastrophe, mais on peut agir pour l'éviter.
Je partage l'avis du philosophe Edgar Morin: " le probable est préoccupant et catastrophique mais dans l'histoire de l'humanité, il y a eu des tas de fois où le probable ne s'est pas produit".
Il faut se battre pour que ce probable ne se produise pas et accepter de changer de modèle, en passant à la sobriété.
Quand Golf rime avec vertueux
Le saviez-vous ?
les zones engazonnées ne représentent que 50 % de la superficie totale du terrain, le reste est constitué d'espaces naturels peu ou pas entretenus
740 golfs en France = 33 000 hectares d'espaces naturels
2 200 espèces de plantes à fleurs inventoriées sur les golfs sur 7 600 variétés recensées en métropole
les parcours hébergent 91 espèces de libellules sur 97 que nous connaissons déjà
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